mercredi 28 mars 2012

Quand la France désavoue ses musulmans

La folie d'un présumé tueur djihadiste risque de noyer la France dans une nouvelle vague de stigmatisation des musulmans. Un travers dangereux en période électorale


Mise à jour du 27 mars 2012: Le père de Mohamed Merah, le tueur en série abattu le 22 mars à Toulouse, a décidé de faire inhumer son fils en Algérie, a affirmé le 26 mars à l'AFP Mohamed Benalel Merah, qui a également déclaré vouloir porter plainte contre la France "pour avoir tué" son fils.


Il y a quelques semaines, l'hebdomadaire Newsweek a publié un long article mettant en garde contre les conséquences possibles de la banalisation de la parole xénophobe aux Pays-Bas. Intitulé «Quelqu'un peut-il demander à Geert Wilders d'arrêter ses diatribes contre les musulmans avant que quelqu'un ne soit blessé?», il mettait en cause les effets insidieux et potentiellement dévastateurs du discours radical du leader populiste néerlandais(*).

A l'époque, j'ai mis de côté cet article estimant qu'il serait nécessaire d'en écrire un de comparable à propos de la France et du climat délétère et islamophobe qui y règne depuis le début des années 2000. Comme nombre d'amis, pas forcément tous des coreligionnaires, il y a bien longtemps que je crains que cela ne débouche sur une ou plusieurs tragédies dont les musulmans seraient les victimes.

Pour moi, ce qui s'est passé en Norvège l'été dernier, avec le massacre de dizaines de jeunes militants de gauche par un terroriste d'extrême-droite, était une première alerte. Une mise en garde vite oubliée, vite escamotée comme si l'horreur et l'impensable ne pouvaient se répéter ailleurs, en France ou dans tout autre pays européen confronté à la montée conjointe des surenchères et de la démagogie identitaires.

«On vous l'avait bien dit ! Vous étiez prévenus!»
Aujourd'hui, après les tueries de Toulouse et de Montauban, il est évident qu'un tel papier ferait figure de provocation car, dans l'affaire, et à l'heure où je boucle cette chronique, c'est bel et bien un homme de confession musulmane, et d'origine algérienne, qui s'est rendu coupable de ces actes lâches et monstrueux que rien, mais absolument rien, ne peut excuser ou justifier. C'est lui, djihadiste se réclamant d'Al-Qaïda, qui a tué, horreur suprême, des enfants au nom de la vengeance des musulmans de Palestine et d'Afghanistan.

Comment, dès lors, ne pas se sentir indigné et accablé par tant de vilenies et de bêtise crasse? Comment garder son sang-froid face à de tels agissements qui souillent non seulement la religion musulmane mais aussi la cause des Palestiniens? Et comment faire entendre sa voix face à celles et ceux qui entonnent le chant vicieux du «on vous l'avait bien dit ! Vous étiez prévenus!»?

Bien sûr, il y a les déclarations, y compris celles de Marine Le Pen, qui se veulent rassurantes et qui mettent en garde contre tout amalgame. Dans une posture de rassembleur, Nicolas Sarkozy a appelé à ne «céder ni à l'amalgame ni à la vengeance» après avoir réuni les représentants des cultes juif et musulman. Mais personne n'est dupe. Nous sommes mercredi [21 mars] après-midi et, déjà, on entend ici et là des voix mettre en cause la couverture partiale (comprendre pro-palestinienne) des événements au Proche-Orient ou s'insurger contre l'angélisme et la naïveté face à l'expansion de l'islam en Europe.

Comme après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, c'est toute une dynamique de mise en cause, assumée ou non, des musulmans qui se met en branle. On sent bien que la retenue est encore de mise mais que gronde en amont un flot d'accusations et de stigmatisation. Il s'agit de circonstances où beaucoup de choses peuvent basculer, où les digues habituelles de la paix civile peuvent soudain se révéler bien fragiles.

Quelques tarés et autres idiots utiles
Nous voici donc, musulmans de France, de nouveau sommés de nous expliquer et de nous amender comme si nous étions forcément solidaires ou complices du tueur de Toulouse.

On va nous demander de condamner un comportement dont la majorité d'entre nous n'a de cesse de se démarquer depuis des années. On va nous reprocher notre silence en feignant d'oublier qu'il nous est guère possible de nous faire entendre, que les grands médias comme les télévisions et les radios nous sont difficilement accessibles, surtout lorsqu'il s'agit de porter un discours qui se revendique de la démocratie, du respect des lois républicaines mais qui, dans le même temps (ceci expliquant peut-être cela), refuse de sombrer dans le bénioui-ouisme.

Alors, oui, bien entendu, il y aura forcément quelques tarés et autres idiots utiles qui, sur Internet ou ailleurs, vont défendre cet assassin. Mais cela ne saurait représenter le sentiment de l'immense majorité qui n'en peut plus d'être prise en otage par les soldats perdus du djihadisme. Une immense majorité qui aimerait aussi rappeler que, dans le monde, les premières victimes de cet extrémisme sont d'abord les musulmans comme viennent de le prouver les terribles attentats qui ont ensanglanté l'Irak au cours de ces derniers jours.

Le tueur de Toulouse vient de faire très mal à la France. Il a assassiné sept de ses enfants et placé toute une communauté dans une position difficile. Mais il n'y a pas que cela. A cause de lui (ou grâce à lui), le débat politique va prendre une autre tournure. Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen vont sortir renforcés de cette crise alors que l'opinion publique française commençait à se lasser de leurs diatribes sécuritaires et de leur manière brutale de faire campagne.

Vivre ensemble en France
Dans le même temps, les discours mettant en garde contre la stigmatisation des musulmans —comme ce fut le cas avec la campagne débile sur la viande halal— vont avoir du mal à passer. Surtout, il va être impossible de réfléchir sereinement à la manière dont ce pays a évolué au cours des cinq dernières années. Avant les drames de Montauban et de Toulouse, la situation était déjà tendue, clivée, avec une banalisation croissante des discours de haine, de stigmatisation des uns et des autres, de mise en cause de telle ou telle minorité, de mise en opposition entre confessions ou entre Français d'origines diverses. Et ce qui vient de se passer ne va pas arranger les choses. La campagne électorale va reprendre ses droits.

Un temps remisées, les stratégies de tension referont très vite leur réapparition. Pourtant, c'est du besoin d'apaisement de la société française dont il devrait être question. Quand toute une communauté craint pour elle-même en raison du comportement d'une personne isolée, c'est qu'il y a un problème. Quand nombre de Juifs de France sont persuadés que les musulmans espèrent (préparent?) de nouveaux actes de violence contre eux, c'est qu'il y a un autre problème. Et l'on en arrive à se demander s'il existe un candidat qui aura le courage de faire campagne sur la nécessité de renforcer, et de reconstruire, le principe du vouloir vivre ensemble.

Akram Belkaïd (Le Quotidien d'Oran)

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